Avec ses 720 km de côtes, le Sénégal est l’un des pays les plus poissonneux au monde grâce au phénomène de la montée des eaux froides très nutritives appelées l’upwelling*.  Des générations entières de pêcheurs artisanaux ont grandi avec une mer très généreuse qui a longtemps fait leur bonheur : apport suffisant en protéines et revenus substantiels. Mais depuis quelques années, le poisson se raréfie sous l’effet combiné de la surpêche et des effets du changement climatique. La baisse des captures est impressionnante et l’avenir de pêcheurs est incertain. La communauté lébou dont le destin  est lié à la pêche, envisage  désormais l’avenir de prochaines générations avec d’autres perspectives professionnelles. La pêche ne nourrit plus vraiment son homme.  L’époque où il était plus valorisant d’être pêcheur que fonctionnaire  dépassée. Les descendants  de pêcheurs en sont bien conscients. Reportage   au village traditionnel de Ngor.

  En ce début d’après-midi de mardi, la plage de Ngor grouille de monde : tentes et  transats sont alignés le long de la plage. A côté, du poisson braisé mijote sur des braises et lève, par moments, une fumée blanche concentrée qui s’évapore. A quelques mètres, des jeunes gens jouent au foot tout près du jeu interminable des vagues qui montent, s’estompent et recommencent sans cesse. Par ce temps de chaleur, cette plage ne désemplit pas de baigneurs détendus et enthousiastes. Bien plus loin, à une centaine de mètres, sur une quasi-colline, un groupe de pêcheurs sont installés sous un apatam de fortune très légèrement couverte d’un tissu translucide. Ils sont trentenaires, quadragénaires, quinquagénaire ou encore sexagénaire. Bref, c’est un mélange de  générations qui se côtoie en ce lieu.

Chaque jour, avant ou après la pêche, cet abri de fortune sert de lieu de rencontre à cette communauté soudée qu’on appelle les lébou. Ils sont pêcheurs de pères en fils et depuis des générations. C’est ici que nous rencontrons Mamadou Guèye Douba, un pêcheur-plongeur connu de tous les autres villages de pêcheurs de la région de Dakar. Mamadou Douba connaît bien la mer et tous les problèmes que traverse la pêche depuis des années ne lui sont pas étrangers.

Âgé de 50 ans,  il a commencé la pêche depuis l’âge de 12 ans et à 17 ans, il possédait sa propre pirogue pour pêcher en toute autonomie. Il a connu des périodes fastes de la pêche dans ce village traditionnel de Ngor. Des décennies plus tôt, Mamadou Douba se rappelle comment chaque pêcheur gagnait  facilement sa vie sans grand efforts. «Dans les années 80 à 90, il y avait plein de poissons, ce n’est plus le cas aujourd’hui», regrette ce leader de la communauté. A cette belle époque, l’on pouvait trouver du poisson noble à pêcher aux abords même de la plage. Il y avait  un filet au bord de la plage qu’on lançait afin de servir les vieux  qui ne peuvent aller en mer. Mais ce temps est révolu. Aujourd’hui, il faut aller  de plus en plus loin sans certitude d’avoir du poisson.

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Comme beaucoup de pêcheurs ici, Cheikh Thioune a aussi commencé la pêche très jeune. Teint noir foncé, chétif et effilé, la soixantaine bien passée, il se rappelle cette époque où les pêcheurs savaient avec précision où aller pêcher telle ou telle variété de poissons. Il y avait du poisson en abondance à tel enseigne qu’un pêcheur n’a rien à envier au fonctionnaire.

Quand la  pêche  rapportait plus que la fonction publique 

Traditionnellement, tout lébou ne connaît que la pêche avant toute autre activité. L’école n’était pas dans les plans des jeunes lébous du village de Ngor. A l’adolescence, beaucoup renonçait à l’école pour se consacrer à  la pêche. Brillant élève, c’est contre l’avis de son père que Pape Oumar Samba avait refusé l’école pour la pêche. Et heureusement, à l’ époque la pêche rapportait beaucoup. Mais ces dernières décennies, il est témoin  d’une raréfaction continue.

«Quand j’ai commencé la pêche à 17 ans, on faisait toujours de grosse pêche. Tu  pouvais avoir de l’agent, faire la fête et te dire demain, j’aurai encore du poisson», se souvient Pape Oumar Samba. «Tu pouvais pêcher une espèce, ça ne va pas, tu allais pêcher une autre espèce. Tu avais le choix», ajoute-t-il. Cette époque est désormais de l’histoire. «Ça a chuté d’une manière grave. Très grave même. Aujourd’hui, personne n’a le choix. Le poisson dont on ne voulait pas, c’est ce poisson qu’on est obligé de manger », regrette Pape Oumar Samba, surpris par cette situation qui contraste  la belle époque qu’il a connue. «Au moment où ça marchait, on était plus riches que les fonctionnaires parce qu’il t’arrivait de gagner en une journée 200.000F CFA tout seul. On faisait la fête parce qu’on était des gens riches», explique-t-il. Choisir le poisson une espèce de poisson à une serait un non-sens et pourtant ce fut le cas autrefois.

«Avant, on faisait des pêches sélectives. Il y avait du poisson un peu partout et de toutes les espèces. Si tu sors tu dis, je veux de la carpe. Spécialement tu vas pêcher la carpe. Des fois, tu sors et tu dis, je veux du thiof, tu vas pêcher que tu thiof, ainsi de suite. Aujourd’hui, tu ne peux même plus le dire. Tu dis je vais à la pêche. Et  tout ce que tu rencontres, tu mets au maximum», témoigne Pape Samba. La situation est telle que le brillant élève d’alors pense avoir mal fait en renonçant aux études. «C’est plus qu’une baisse, c’est une chute. Moi si vraiment je savais que ça allait finir comme ça, j’aurais pu continuer mes études pour faire autre chose. Mais d’un coup c’est arrivé et ça nous a surpris», confie Pape Oumar Samba.

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 Les deux démons qui ont attaqué les eaux sénégalaises

Deux raisons expliquent  la chute drastique du poisson dans les eaux sénégalaises. Il y a d’abord la pression sur la ressource ces dernières années.  Elle est le fait aussi bien de la pêche artisanale que la pêche industrielle. «Moi quand je commençais sur la plage, il y avait une vingtaine de pirogues. Aujourd’hui on est  150 pirogues. L’espace de pêche où tu avais une pirogue, tu en as 5 ou 6 aujourd’hui pour le même butin », relève Pape Oumar Samba. Nous sommes ici à Soumbédioune. C’est l’un des plus grands quais de pêche de Dakar. Il est 18 heures passées. Loin de la plage deux pêcheurs septuagénaires échangent chaleureusement. Originaires de Saint-Louis, ils ont commencé aussi la pêche, très jeunes. Priés d’expliquer les raisons de la raréfaction du poison, ils se lancent sans la moindre hésitation.

Pour Dame Diop qui a commencé la pêche depuis 1958, ce sont avant tout, les méthodes de pêche inadaptées des pêcheurs artisanaux qui sont à la base de la raréfaction du poisson. «C’est nous-mêmes les pêcheurs qui sommes responsables  avec l’utilisation des filets dormants, les filets dérivants, les filets tournants.  Pour ce vieux,  ce sont dans l’ordre des responsabilités de cette situation des filets inadaptés, la pêche en plongée et enfin l’envahissement des bateaux étrangers qui ont provoqué la chute drastique des prises en mer. Quid des effets du changement climatique. Pour le septuagénaire c’est potentiellement la dernière des causes. En tout état de cause, l’idée  que le changement climatique soit une cause ne convainc quasiment aucun pêcheur. Pourtant, certains pêcheurs sont aussi des plongeurs qui avouent avoir senti une certaine  variation de la température des eaux au fil des années. Toutefois,  c’est du côté des scientifiques que  la thèse du changement climatique est défendue. A côté de la surpêche qui est perceptible et palpable de par l’augmentation de nombres de pirogues des pêcheurs artisanaux et surtout l’irruption des bateaux étrangers dans le cadre des accords de pêche.  Des régimes successifs qui se sont succédé à la tête du pays accordent des licences de pêche à tour de bras aux entreprises de pêche étrangers qui littéralement pillent les eaux.

Le changement climatique  n’est pas une cause négligeable

La seule surpêche ne peut pas être responsable de la raréfaction du poisson  dans les eaux sénégalaise. Un autre phénomène sournois  y participe. Ce sont les effets du changement climatique. Abdoulaye Sarré est chargé de l’évaluation des ressources pélagiques (de haute-mer) à l’Institut sénégalais de recherche agricole (Isra-Crodt). Il a étudié la répartition des deux sardinelles les plus consommées et populaires au Sénégal, la ronde et la plate dans le cadre d’une thèse. Il relève  une migration dangereuse des sardinelles ronde vers le nord qu’il attribue au changement climatique. « En menant des campagnes hydroacoustiques dans la sous-région, du sud du Sénégal jusqu’au Maroc, nous avons constaté un shift(glissement) de la couverture de plusieurs stocks de poissons pélagiques vers le nord, explique-t-il au magazine Reporterre. «Ce déplacement est dû à un réchauffement très intense des eaux de surface, un réchauffement qui n’est pas homogène et est particulièrement accentué au large du Sénégal».

Ce réchauffement, selon Reporterre pourrait être le plus important de toutes les régions tropicales du monde. Cela est préoccupant d’autant plus que si la sardinelle plate  s’adapte plutôt bien aux variations de température, la sardinelle ronde y est très sensible. «Elle cherche toujours une fenêtre environnementale optimale pour s’épanouir, d’après Sarré. « Elle est montée d’à peu près 230 kilomètres vers le nord, en trois décennies, un déplacement correspondant à peu près à celui des isothermes [lignes de même température]. Ce phénomène favorise le Maroc au détriment du Sénégal ou de la Mauritanie. C’est très problématique », conclu le chercheur. Un autre phénomène que décrit le chercheur c’est une remontée de la couche minimum d’oxygène. Ce qui réduit l’habitat de ces petits pélagiques, contraints de se rapprocher de la surface pour survivre. Mais hélas ! « Ça facilite leur capture par les pêcheurs, et ça réduit leur niche écologique », déduit Abdoulaye Sarré.

Il tire la sonnette d’alarme sur la situation des ressources halieutiques. «Si les tendances climatiques actuelles sont soutenues et que les émissions de gaz à effet de serre, principalement provoquées par les grandes puissances, ne sont pas réduites drastiquement, il y a fort à craindre que les familles sénégalaises soient contraintes de trouver d’autres solutions pour bénéficier de protéines. Ce serait un choc culturel conséquent».  La plupart des pêcheurs interrogés ont aussi notés une migration de certaines espaces, une appariation d’autres au cours de l’année et de manière cyclique, mais ils ne lient pas forcément le phénomène aux effets du changement climatiques. Dans tous les cas, il y a urgence à agir. En effet, la pêche est un enjeu majeur pour l’économie sénégalaise car c’est la première branche exportatrice et la deuxième source d’entrée de devises dans le pays avec en moyenne 200 milliards de FCFA par an. C’est aussi un enjeu pour la sécurité alimentaire puisque 70% des protéines animales sont issues des éffaction du poisson marines. Par ailleurs, l’activité de pêche constitue un gage de stabilité sociale parce qu’entre 600 à 800.000 personnes vivent directement ou indirectement de la pêche, selon  d’anciens rapport de l’ONG Greenpeace.

La solution  très artisanale des pêcheurs de Ngor

Face à la baisse croissante des prises en mer, les pêcheurs de Ngor ont eux-mêmes pensé une solution communautaire : c’est l’installation d’une bouée dans la mer permettant de drainer des poissons. «Nous avons trouvé une solution pour les poissons qui sont en surface». Cette bouée a mobilisé toute une variété de poissons comme le thon rouge, le thon jaune, le marlin bleu, les espadons voiliers. La plupart des  villages de à l’instar de pêche Yoff, Ouakam, Soumbédioune viennent pêcher dans les environs. Pêcheurs de générations en générations, les jeunes lébous de Ngor s’adonner  de plus en plus à l’apprentissage de métiers divers parce que la pêche ne nourrit plus son homme.

Cette reconversion est irréversible puisque la raréfaction du poisson semble pour le moment imparable. «Nos jeunes, ils ont un peu compris. Aujourd’hui, ils se font des formations pour aller dans les restos, dans les hôtels. Avant ce qu’on ne faisait. Mais Il y a beaucoup maintenant, ils se disent on va changer de métier parce que maintenant avec la pèche, tu te tues et tu n’as rien. Tu as du poisson pendant 3 mois. Le reste du temps, tu es obligé de gratter, de forcer et de risquer ta vie. Donc la mentalité des enfants a changé  et heureusement», se réjouit, Pape Samba qui donne en exemple le cas de ses enfants.

En somme la baisse progressive du poisson dans les eaux sénégalaise n’est pas seulement le fait des  accords de pêche, mais c’est aussi du fait des pêcheurs artisanaux. Si la bateaux étrangers font des ravages, localement le nombre de pêcheurs a aussi augmenté.

La pêche s’est largement intensifiée depuis les années 1970 à la suite de la pêche. En 2028, ce sont plus de 20.000 pirogues et quelque 160 navires industriels se disputeraient, les 720 kilomètres de côtes du Sénégal, pour répondre à une demande mondialisée et soutenue, relève Reporterre. Mais la tendance va au delà du Sénégal. Plus de 50 % des stocks suivis dans les eaux ouest-africaines seraient surexploités, ce qui constitue l’un des taux les plus élevés au monde, révèle le quotidien environnemental.