Quatre bâtiments prestigieux appartenant à l’État allemand à Rome, dont celui de l’Institut Goethe, sont menacés de saisie par la justice italienne, qui exige des réparations à Berlin pour des crimes commis pendant la Seconde Guerre mondiale. En saisissant fin avril la Cour internationale de justice, l’Allemagne a depuis obtenu des premières garanties du gouvernement italien.
Alors que l’Europe vient de commémorer le 77e anniversaire de la victoire du 8 mai 1945 des Alliés sur l’Allemagne nazie, la question des réparations de la Seconde Guerre mondiale continue de hanter les relations entre deux États européens : l’Allemagne et l’Italie.
L’affaire a pris une telle ampleur que le principal organe judiciaire de l’ONU, la Cour internationale de justice (CIJ), a été saisie par Berlin, le 29 avril, pour examiner le litige. Plusieurs bâtiments prestigieux situés à Rome et appartenant à l’État allemand risquent d’être saisis par la justice italienne.
L’affaire remonte à 2008, lorsque la Cour suprême de cassation, la plus haute juridiction italienne, décide que l’Allemagne doit verser environ un million d’euros aux familles de neuf personnes tuées lors du massacre de Civitella le 29 juin 1944. Ce jour-là, alors que l’Italie est sous occupation allemande depuis 1943, entre 170 et 250 civils italiens, dont des femmes et des enfants, sont tués par balles par la Wehrmacht. Un massacre perpétré en représailles au meurtre de deux soldats allemands aux mains des Partigiani, la Résistance italienne.
Cette décision historique crée un précédent. De nombreux autres descendants de victimes italiennes des crimes nazis lancent alors des actions en justice. Confrontée à un nombre croissant de litiges devant les tribunaux italiens, l’Allemagne finit par porter plainte une première fois devant la CIJ, qui lui donne raison en 2014.
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L’Allemagne a déjà versé 40 millions d’euros à l’Italie
Berlin ne remet pas en cause les crimes commis en Italie par le IIIe Reich entre 1943 et 1945, mais assure que la question des indemnisations a été résolue dans le cadre d’accords entre États après la guerre. En vertu de l’un d’entre eux, signé en 1961 avec l’Italie, l’Allemagne a notamment versé 80 millions de deutsche marks, soit 40 millions d’euros à l’État italien pour indemniser les victimes. Berlin estime donc que les demandes de la justice italienne violent le droit international.
Or, du point de vue italien, les victimes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité doivent pouvoir présenter des réclamations individuelles contre des États souverains. Malgré une première condamnation de la CIJ en 2014, la Cour constitutionnelle italienne estime, la même année, qu’interdire les procédures civiles intentées par les victimes italiennes serait contraire à la Loi fondamentale du pays, piétinant ainsi le verdict onusien.
Depuis cette décision, « pas moins de 25 nouvelles affaires ont été portées contre l’Allemagne » devant des juridictions italiennes, ont dénoncé, le 29 avril, les avocats de l’État allemand dans leur nouvelle plainte déposée devant la CIJ. L’Allemagne réclame que l’Italie veille à ce que les décisions déjà prises par ses juridictions et portant atteinte au droit à l’immunité souveraine de l’Allemagne cessent de produire leurs effets.
Berlin exige également que l’Italie s’assure que les biens allemands visés par les tribunaux italiens « ne fassent pas l’objet d’une vente aux enchères publiques avant que la Cour [de l’ONU] ne se prononce sur le fond ».
Quatre bâtiments en jeu à Rome
Pour l’État allemand, le temps presse car la justice italienne menace de saisir quatre bâtiments lui appartenant à Rome et pas n’importe lesquels. Sont concernés, entre autres, le célèbre Institut Goethe, l’Institut archéologique allemand, celui d’histoire, ainsi que l’École allemande de Rome. L’État italien n’ayant pas encore exécuté cette saisie, la justice italienne doit décider d’ici le 25 mai si elle force la mise aux enchères de ces bâtiments.
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La vente correspondrait au règlement des indemnités dans deux affaires jugées en 2011 et 2020, en faveur de descendants de victimes italiennes de crimes nazis, et dans lesquelles l’Allemagne a été condamnée à payer plus de 600 000 euros « pour violations du droit international humanitaire commises par le Reich allemand ».
Le gouvernement italien donne finalement des garanties
Il faut généralement des années avant que la CIJ ne rende une décision. Berlin a donc demandé, dans un premier temps, à cette instance créée pour régler les disputes entre États d’adopter des mesures en urgence, visant à garantir que l’Italie ne puisse pas vendre les terrains aux enchères publiques pendant l’examen de l’affaire.
Une pression qui a semblé avoir un effet. Le 1er mai, le gouvernement a adopté un décret allant dans le sens de la demande allemande, ce qui a convaincu Berlin qu’il n’y a plus de caractère urgent dans le traitement de l’affaire.
« L’Allemagne croit comprendre, sur la base de ce décret, que ‘la législation italienne exige des tribunaux italiens qu’ils lèvent les mesures d’exécution prises antérieurement et qu’ils s’abstiennent de prendre toute nouvelle mesure de contrainte contre les biens allemands utilisés à des fins de service public non commerciales en territoire italien’ », a précisé la CIJ en annulant, lundi 9 mai, l’audience qu’elle s’apprêtait à tenir en urgence.
Le ministère allemand des Affaires étrangères a toutefois précisé que Berlin n’avait pas retiré l’affaire en général, mais uniquement sa demande d’examen accélérée. En effet, le décret italien doit encore être confirmé par le Parlement.
Avec AFP